vendredi 25 mars 2016

Parkinson vs Alzheimer

Il y a une comparaison qui revient assez souvent dans la bouche de mes patients.

Les 2 "maladies de fin de vie".

Alzheimer, et l'autre, là, celui où on tremble... Parkinson, c'est ça.

Pourquoi ces deux là? Pourquoi pas les AVC, les infarctus, les luxations? Pourquoi pas les rhumatismes, le cancer, le diabète?

Je crois que toutes ces maladies sont, d'une certaine manière, bien intégrés par la société. Avec son lot de lieus communs.

Les AVC, les infarctus, les rhumatismes, c'est un truc de vieux.
Les luxations, le diabète, le cancer, c'est qu'on a fait quelque chose de mal, d'une certaine manière, on l'a bien cherché.

Non, AVC, infarctus, cancer et diabète ne sont pas des maladies uniquement de vieux.
Non, on n'est pas fautif quand on se luxe une hanche en cherchant à se relever après avoir pelé ses patates dans sa cave.
Pas plus qu'avoir mangé un peu trop de gâteaux ne vous condamne à être diabétique.
Et avoir un cancer n'est pas forcément lié à quelque chose qu'on a fait ou pas. Parfois, souvent, c'est juste la faute à pas de chance. Mais c'est tellement commun, un cancer...


Alors, pourquoi Alzheimer et Parkinson?
Parce qu'elles paraissent injustes.

Vraiment injustes.
Plus que le cancer.
Plus que l'AVC.

Parce qu'elles sont longues.
Parce que vous êtes condamnés, mais que ça va être long.
Très long.
Trop long.

Parce que ça va vous couper de la société.

Certes, certains AVC vous laissent tellement diminués que vous ne pouvez plus articuler ou sortir le bon mot. Mais bon, au pire, on peut écrire.
Certes, un cancer va vous prendre vos cheveux, vos kilos, vos seins si vous êtes une femme, ne laissant de vous que le reflet de ce que vous étiez, mais ça n'est que de l'apparence, on fait tellement de progrès là dedans, on peut camoufler tellement de choses.
Certes, les rhumatismes ça fait mal, mais bon, 'tout le monde en a", alors...

Parkinson et Alzheimer ne vous laissent pas cette chance.


Parkinson finit par vous couper du monde, parce que manger est un défi. Que boire est compliqué. Que vous tombez. Souvent. Dans la rue, ou à l'intérieur.
Parkinson vous coupe du monde, parce que vous ne voulez pas que le monde vous voit comme ça.

Alzheimer vous fait tout oublier. Au début par phase, puis en continu.
Vous ne vous connaissez plus, vous ne connaissez plus les autres. Les enfants que vous avez mis au monde. Votre famille. Vos amis.
Le vide se fait autour de vous avant que vous ne vous ne vous en rendiez plus compte.


Parkinson et Alzheimer font peur, alors qu'elles ne sont pas les plus fréquentes.

Parkinson et Alzheimer, à la différence de toutes autres maladies, font peur, parce qu'elles vous donnent l'impression de ne plus avoir le droit d'appartenir à la société.

Parkinson et Alzheimer sont nos nouvelles maladies honteuses.

samedi 19 mars 2016

Monsieur F, le retour.

Monsieur F., c'est mon patient depuis 4 ans.
Toutes les semaines, le vendredi puis le jeudi, invariablement à 11h.

Enfin, à 11h05. Ou 11h10.

Mais c'est notre horloge qui avance, aussi. Lui est à l'heure.
Qu'importe que les 2 horloges du cabinet, ma montre, celle de mon collège et celle de l'ordi soient calquées les une sur les autre.

Nous sommes en avance.

Passons, je me suis adaptée.

Monsieur F., c'est ce patient qui a fait la guerre d'Algérie.
J'ai déjà parlé de lui.

Monsieur F., je l'aimais bien.

Sauf que.

Sauf que depuis le début de l'année, monsieur F. est ronchon.

Monsieur F. a des douleurs. C'est bien normal de s'en plaindre.
Monsieur F. ne supporte pas son âge. C'est triste, mais je n'y peux rien, lui non plus, c'est un simple fait.
Monsieur F. s'énerve, parce que le dépanneur de sa télé le laisse en plan depuis un an. C'est étonnant...
Monsieur F. éructe parce qu'il ne trouve pas de place dans la rue pour se garer, toujours les mêmes qui ne bougent jamais leur voiture, toujours ce voisin qui se croit tout permis.
Monsieur F. s'emporte parce que mon collège a choisi de mettre des tuiles noires sur notre futur cabinet, et pas de rouges. Ça dénature le village. C'est une honte.
Monsieur F. m'affirme que nous sommes une génération de lâches, incapable de la moindre entraide. Monsieur F. sait que quand tous ces étrangers seront là, ils nous apprendront à être solidaires!


Monsieur F. me déçoit.
Me blesse.
M'attaque.

Monsieur F. n'est pas Alzheimer. N'a pas de sénilité de détecté.
Monsieur F. est juste aigri.


J'ai perdu un patient que j'aimais bien sans qu'il ne meure.

Je ne comprend pas pourquoi.

Je continuerai bien sûr à le soigner, sans plus répondre à ses vindictes incessantes, lui avec qui j'aimais tant discuter.


Mais maintenant, je n'ai plus qu'une hâte: que la fin de la séance arrive et qu'il se taise enfin.

samedi 30 janvier 2016

Maternelle, première section

De nos jours, nous avons la chance d'avoir le tout-numérique.
L'accès en illimité à l'Internet, aux réseaux sociaux, aux sites divers et variés.
L'information est continue, pré mâchée, parfois pré digérée.
Les débats et les confrontations y font rage.

Il existe, vous vous en doutez, des sites et des réseaux spécialisés pour les kinés.

Si parfois, ils nous permettent de trouver des remplaçants, d'échanger de façon constructive, de se rassurer, voir même d'évoluer, souvent, trop souvent, ils sont surtout une source de désespoir.

L'anonymat de l'écran rassure.
Le clavier se fait perfide, méprisant.
Les insultes fusent.
Les amalgames sont légions.
Les mots sont crus.

Malheur à vous si vous osez demander de l'aide pour une cotation d'acte. J'ai vu des kinés traiter leurs cadets d'illettrés pour moins que ça.

Tremblez, si d'aventure vous vous intéressez à une formation moins médiatisée, ou victime d´a priori. Vous serez ridiculisés, qualifiés de déviants, menacés parfois.

Répondez de façon sincère, et on vous rétorquera que vous vous trompez.

Le pire, c'est que très souvent, les persécuteurs des réseaux sociaux sont ceux qui refusent catégoriquement de simplement se renseigner sur telle ou telle méthode.
Qui se cachent derrière des études, parfois vieilles de 10, 20, 30 ans.
Qui ne se remettent jamais en question.

Je sais que la grande majorité des gens sur ces réseaux sont aimables, prêts au partage d'idées et d'informations.
Mais souvent ils se taisent, apeurés ou résignés.

Je suis de celles qui se taisent, qui ne commentent plus, qui souffrent en silence quand on attaque ma spécialisation, ou qu'on dénigre inutilement un jeune praticien cherchant juste de l'aide.

Je suis pourtant de celles qui gueulent dans la vraie vie.
J'aimerai les avoir face à moi, ces généraux des réseaux, pouvoir prendre une bière avec eux, discuter calmement ou m'énerver, partir ou les claquer.

Mais je sais qu'en direct, ils seraient bien moins arrogeants...

mercredi 20 janvier 2016

Changement

Un jour, qu'on le veuille ou non, arrive un changement.
Un changement dans une routine bien instaurée, qui roule depuis plus de 4 ans.

Un changement qui vous perturbe.

Un décès.

En arrivant au cabinet hier matin, il y avait un mot dans mon agenda.
Madame S. est morte.

Madame S., c'était ma première patiente du mercredi.
La première de ma tournée de domiciles.
Mais aussi le premier domicile que j'ai fait en arrivant dans ce cabinet.
Il y a un peu plus de 4 ans.

Madame S., c'est patiente 1.
Celle qui était Alzheimer lourd.
Celle dont le mari s'occupait si bien.
Celle dont je n'ai jamais capté un seul regard qui aurait seulement semblé me reconnaitre.

Celle dont j'inscrivais le nom dans mon petit agenda toutes les semaines, invariablement à 8h le mercredi matin.

Celle où je prévenais mes remplaçants que, s'ils étaient assez libres d'organiser la tournée comme ils voulaient, Madame S., c'est 8h sans discuter.

Celle dont le mari avait "fait l'Algérie", et était encore marqué.


J'étais un peu perdue, hier matin.
Un perte de repère.
Un changement.

Et cette horrible réflexion culpabilisante... Par qui vais-je bien pouvoir la remplacer histoire de ne pas chambouler toute ma tournée?

samedi 19 décembre 2015

Dédicace

A toi, l'automobiliste.
A toi, le prince de la route, le chevalier du bitume.
A toi, le bobo en 4x4.
A toi, la princesse qui manie un langage que la morale réprouve dans les contes.
A toi, le gars qui rentre et qui est pressé. Qui est fatigué. Qui veut juste aller un peu plus vite.

A toi, qui mercredi soir, a failli m'emboutir, emboutir la voiture d'à côté et faire de gros, gros dégâts. A toi qui n'a pas vu que je freinais, parce que ton capot était collé à mon coffre.
A toi, qui admirait sans doute les courbes généreuses de ma voiture.
A toi, qui pensait peut-être à autre chose, marre de ce boulot, trop de stress ou juste envie de rentrer.
A toi, qui a failli nous tuer.
A toi, qui n'a même augmenté ta distance de sécurité.
A toi, qui n'a pas compris que devant nous, ça freinait à cause d'un accident. D'un autre accident, dirons nous.
A toi, qui a fini par accélérer, et passer sur la file de droite, toute à droite, pour ensuite dépasser et et te rabattre, trop près de la voiture devant moi, qui a elle aussi dû freiner.
A toi, qui n'a pas compris que tu avais failli causer deux accidents en 10 minutes.
A toi, qui étais pressé de rentrer, et qui n'a pas compris que tu avais bien failli ne plus jamais rentrer.


A toi, qui jeudi matin, n'était pas assez réveillé.
A toi, qui voulait accélérer pour dépasser le camion devant toi sur la voie d'insertion, et tout de suite passer sur la voie rapide.
A toi, qui a failli emboutir la clio grise qui roulait normalement sur cette voie.
A toi, qui a fait un joli doigt d'honneur à la fille qui te faisait des appels de phares.
A toi, que quand je t'ai dépassé, vu que tu sortais à la sortie suivante, avait vraiment l'air d'un gros con.

A toi, qui balance ta clope avec son paquet par ta fenêtre ouverte.

A toi, qui colle la voiture devant toi pour ne laisser passer personne.

A toi, qui slalome dans les bouchons.

A toi, à qui ça arracherait la main de mettre ton clignotant.

A toi, qui pile devant le radar et accélère ensuite.


A moi, qui ne suis pas toujours exemplaire. Qui jure souvent. Qui parfois est distraite.
Mais qui n'a jamais fait des trucs aussi cons.

A toi, donc. A toi, le caïd de la route.

A toi, en mon nom et en celui de tous ces conducteurs sans soucis,je te dis bien fort que JE T'EMMERDE, CONNARD.

samedi 28 novembre 2015

Jour de brouillard

L'automne est enfin là, et bien là.

Il se dispute vaillamment avec l'hiver pour contrer les premiers grands froids, et rester sur des frimas.

L'automne, c'est la saison des feuilles mortes, du retour des soupes, des articulations qui tout à coup font à nouveau mal.

L'automne, c'est un questionnement permanent sur le temps qu'il fera, à la différence de l'hiver où les deux seules alternatives sont routes praticables / routes non praticables.

L'automne, en Alsace, c'est le temps du brouillard.

J'aime le brouillard.

Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours aimé ça.

Cette chape fantasmagorique qui transforme le paysage, qui donne l'impression d'être dans un livre où n'importe quoi pourrait surgir face à vous.

Gamine, les "jours blancs" des vacances au ski, où on ne distingue pas la piste du ciel, me fascinaient.

Aujourd'hui adulte, dehors par tous les temps, le brouillard prend une autre dimension.

J'ai souvent dit que je connaissais la route entre mon domicile et mon cabinet par cœur, et que je pourrais la faire les yeux fermés.

C'est bien entendu faux, et surtout les jours de brouillard.

Il faut de toute manière être plus vigilant, aux gens qu'on croise et qui n'ont pas leurs feux allumés ("hé, moi je vois, alors pourquoi faudrait que j'ai les lumières?!"), aux piétons qui oublient qu'on ne les voit pas, non madame, aux animaux qui ne trouvent plus leurs repères, chassés par des chasseurs ne sachant pas toujours chasser.

Mais moi, c'est les yeux grands ouverts et avec un sourire béat sur les lèvres que je savoure mes 45 minutes de trajet, à admirer la nature qui s'est amusée à se transformer.

mardi 17 novembre 2015

Post apocalypse...

Ca y est.
La première journée de travail après les attentats.

J'avoue avoir été angoissée.

Avoir craint l'amalgame.

Le racisme.

La peur.

La colère.

J'ai moi même peur. Pourquoi en serait il autrement pour les autres?
On a tous peur.

Mais.

Mais moi, je refuse d'arrêter de vivre.
Je refuse de ne plus boire des bières en terrasse.
Je refuse de me priver d'un verre de vin chaud pendant le marché de Noël. J'irai, la boule au ventre, mais j'irai.
Je ferai la fête avec mes amis musulmans, juifs, catho, protestants, bouddhistes, athées...
Je vivrai. Pour ceux qui ne le peuvent plus.

Mais mes patients...

Mes patients, je ne savais pas ce qu'ils pensaient.

J'ai angoissée, encore une fois.

Aujourd'hui, j'ai tout eu.
Et quasiment rien auquel je m'attendais.

Les pudiques: "ils sont fous... C'est terrible."
Ceux qui n'en parlent pas, coûte que coûte: "j'ai mal depuis la dernière séance, c'est de votre faute!"
Les pessimistes: " ca devait finir par arriver"
Les opportunistes: "c'est une magouille politique!"
Les musulmans: "je me sens jugée, partout, tout le temps. Je n'ai rien fait..."
Les terrifiés: "finies les sorties. Je ne bouge plus de la maison."
Les terrifiés bis:" mon fils était au stade de France."
Les catégoriques: "rouvrons Cayenne pour tous les y envoyer!"

Parfois un mix de plusieurs catégories.

Je ne sais pas trop quoi penser de cette journée, finalement.
Chacun a exposé son ressenti, entre ceux qui pensent tout ca bien lointain, et ceux qui ont peur que ca vienne chez nous. Ceux qui excusent et ceux qui accusent.

Il n'y a pas eu de débordement de haine.
Pas d'amalgame, ou du moins pas déclaré.

On a tous continué à vivre, eux en venant se faire soigner, moi en les écoutant et en les traitant.

Suite à cette apocalypse, nous avons tous continué.
Par ce qu'il n'y a que comme ça que le temps pourra nous aider.


Cet article, ma foi un peu brouillon car sous le coup de l'émotion, est dédié à Lola, #109 de l'équipe de Roller derby La Boucherie de Paris, qui aimait le rock, et à tous ceux qui ont perdu la vie pour avoir voulu la vivre.
On ne vous oubliera pas.